En mémoire de Lucien Hervé,
2016 – Exposition des œuvres photographiques de Philippe Brame
Ronchamp, une architecture de lumière
… / Peut être sait-il attendre que ses yeux s’ouvrent à travers la matière du sujet, au lieu de se complaire à raconter…J’aime ce qu’il apprend à regarder. J’aime lui entendre dire : l’espace est dans le sujet s’il est vraiment regardé, aussi ce n’est pas la peine d’en rajouter. Il n’y a pas de « mise » en espace, ou alors il n’y a pas de sujet. L’objectif du photographe est ici l’indicible. Lucien Hervé*1 2002.
Fin mai 2007, un frère franciscain me proposa de poser mon regard sur la chapelle de Ronchamp construite par Le Corbusier dans les années cinquante. Lucien Hervé qui fut le photographe de Le Corbusier m’avait déjà parlé de cet édifice particulier et de la manière dont il l’avait photographié. Je répondis à ce franciscain que j’allais méditer et que je lui donnerai une réponse en juin. Le jour de ma réponse, j’appris la mort d’Hervé, étrange coïncidence, ma peine m’invita à l’ouvrage …
Les prises de vues furent effectuées essentiellement au moyen format argentique, durant les solstices et les équinoxes de 2007 et 2008, car je voulais transposer mon approche de Vézelay effectuée quelques années auparavant, à Ronchamp que je définissais comme de même « nature », considérant toutes les transpositions fondamentales que demandait le passage entre XIIe et XXe siècle… En 2003 et 2004, j’avais réalisé « Gloires de l’ombre », travail patient en compagnie de la Basilique de Vézelay, où le secret de la lumière est dans l’ombre. « Si nous écoutions la lumière modeler la parole de la nuit. Ainsi qu’il nous est ici proposé. …/… » écrit alors Dominique Ponnau*2. La Chapelle de Ronchamp devint une suite naturelle de ce travail, tant elle m’apparaissait en quelque sorte comme une architecture romane contemporaine, un espace vibrant, un lieu poétique.
L’exposition est composée de différents formats de tirages en noir et blanc qui dialogueront les uns avec les autres. En fonction de chaque lieu, de la particularité de l’espace de représentation, ici la Porterie Notre-Dame du Haut construite par Renzo Piano, j’essaye de frayer de nouvelles pistes d’interprétations par des recadrages, modifications de tonalités, association d’images … un peu à la manière d’un chef d’orchestre avec ses différents pupitres. Chaque nouvelle articulation de mes photographies nécessite de concevoir la disposition du passage entre les œuvres. J’accorde beaucoup d’importance au placement du silence car il permet à la musique visuelle de prendre sa juste respiration dans l’espace, engendrant formes, volumes et contrastes ; donnant à voir l’infinie présence de cette architecture de lumière.
@Philippe Brame
*1 Lucien Hervé est considéré aujourd’hui comme l’un des cinq grands photographes hongrois avec Mohol-Nagy, A.Kertesz, F. Capa et Brassaï). Il fut notamment l’ami et le photographe de Le Corbusier et de nombreux architectes comme Niemeyer, Peï…mais aussi d’artistes tels que Miro, Matisse, Willy Ronis …
*2 Dominique Ponnau, Conservateur général du patrimoine, Directeur honoraire de l’Ecole du Louvre, auteur de nombreux ouvrages.