Corps espacés
Dans cette œuvre, Philippe Brame renouvelle l’apparence du corps en lui offrant une dimension poétique étonnante, basculée et renversée. La chair tendue se fait feuille, une partie dans la lumière, l’autre dans l’ombre, partagée par la colonne vertébrale qui devient nervure. L’arc dessiné à la surface est sculpté par l’ombre, modelé par la lumière, il s’élance à l’infini, coupé par les bords de la photographie mais pas stoppé dans sa continuité. L’artiste cherche à donner à voir le corps nu dans une dimension poétique, lié à «l’autre», le renvoyant à sa propre existence physique et sacrée «à la source du mystère de nos formes ».
Il donne à voir un corps paysage sur fond d’obscurité silencieuse. Il n’y a pas dans son travail de curiosité morbide du corps, mais une volonté de lui offrir un nouvel espace, d’en souligner les lignes et les contours. Il dit «le corps du monde» 1 aussi bien dans son universalité que dans son intimité, étroitement liées.
Au début du XXe siècle, une importante révolution plastique se met en place. Les artistes, ébranlant les codes figuratifs traditionnels, s’attaquent à la représentation humaine pour en donner une image disloquée, géométrisée, déformée voire défigurée.
Le regard est définitivement modifié par les événements tragiques des guerres mondiales, massacres et génocides. Si le processus de fragmentation de l’image, renvoyant au morcellement du corps humain, a été souvent utilisé par les artistes du XXe siècle pour exprimer l’éclatement de la perception et du «moi» 2 du sujet moderne, il n’est pas motivé par les mêmes raisons à la fin du siècle. Par exemple, l’artiste photographe John Coplans est célèbre pour sa série d’autoportraits en noir et blanc, études assez crues du corps nu et vieillissant. Il a photographié son corps sans fioritures, en le découpant en sections, des pieds jusqu’aux
mains ridées : le portrait d’un homme comme entité corporelle, chaque partie devenant l’histoire de l’artiste.
Béatrice Meunier